11.09.2022

A la recherche des traces du camp de Gurs

Samedi 11 septembre 2021

 

Jour d’arrivée à Oświęcim pour tous les participant·e·s

Un groupe a atterri directement à Cracovie en avion depuis Bâle et s’est rendu en taxi à Oświęcim. Un couple avec leur petit bébé s’était mis en route depuis plusieurs jours en voiture. Cinq participant·e·s sont arrivé·e·s individuellement en train depuis différents endroits.

Nous avons logé au Centre international de rencontres de jeunes Oświęcim/ Auschwitz MDSM. C’est à Oświęcim que nous nous sommes toutes et tous rencontré·e·s en personne pour la première fois, car, depuis octobre 2020, nous n’avions pu nous rencontrer qu’à travers nos écrans à cause de la pandémie.

Après le dîner, nous sommes parti·e·s nous promener dans les environs, où nous avons eu un premier aperçu de la vie quotidienne des habitant·e·s de la ville.

 

Dimanche 12 septembre 2021

 

Visite guidée de la ville d’Oświęcim et visite du Centre juif

Visite guidée du Musée national d’Auschwitz (Auschwitz I – Stammlager)

Nous avons découvert la ville et son histoire lors d’une visite guidée de plusieurs heures avec Gabriela Nikliborc, qui y a grandi et qui y vit toujours . L’histoire de la ville remonte à 1217.  Le château et le « Rynek », la place du marché, donnent autant une impression du passé que du présent. Sur un mur en bois près de la place du marché, nous avons vu une affiche avec un texte en allemand : c’était le décor d’un film en cours de réalisation, dont l’action se déroule pendant l’Occupation allemande.

Oświęcim a une longue histoire juive : plus de la moitié de ces citoyens étaient juifs avant la seconde guerre mondiale . Parmi les nombreuses synagogues, une seule a survécu aux destructions allemandes et, soigneusement restaurée en tant que « Centre juif », elle s’ouvre depuis 20 ans aux visiteurs du monde entier. Dans la synagogue, nous avons découvert les traditions de l’office religieux juif. Dans le musée attenant, nous avons trouvé des témoignages de la vie économique des familles juives et avons appris l’histoire de ces familles avant, pendant et après la Shoah.

Au moment du déjeuner, nous sommes retourné·e·s au Centre international de rencontre pour la jeunesse. L’après-midi, nous sommes parti·e·s pour la première visite guidée du mémorial de l’ancien camp de concentration. Son nom officiel : « Musée national d’Auschwitz-Birkenau ».

Durant ce premier jour de notre voyage d’étude, nous avons été guidé·e·s pendant trois heures par Božena Kramarczyk à travers Auschwitz I, connu sous le nom de « Stammlager ».

 

Retour d’expérience :

« J’ai été particulièrement choquée par les objets que les gens avaient sur eux (…). Si les proportions [des personnes assassinées] sont inimaginables, ces objets de valeur, ces chaussures et ces valises m’ont montré que derrière chaque numéro, derrière chaque cheveu, se cachait une personne avec des passions, des croyances, des goûts vestimentaires, des origines, des âges et des sexes différents. Je pense que ce fut l’une des découvertes les plus importantes pour moi : le travail de mémoire et la visite de ces mémoriaux, parmi beaucoup d’autres choses, permettent justement de se souvenir de personnes individuelles dotées de nom, et de ne pas les confondre avec un nombre inimaginable d’autres victimes dans une masse immense et écrasante ».

 

Lundi 13 septembre 2021

 

Visite guidée de l’ancien camp de concentration Auschwitz II Birkenau, de la « Maison blanche », du sauna et de la baraque pour enfants.

Visite individuelle des « expositions nationales » dans le camp principal Auschwitz I (Stammlager).

Nous avons commencé la visite de l’ancien camp de concentration de Birkenau là où les convois en provenance de France transportant les Juifs et les Juives de Breisach sont arrivés à l’été 1942 : la « Rampe des Juifs » ou « Vieille Rampe ». (À partir de mai 1944, les trains transportant les déportés entraient dans le camp par la porte et s’arrêtaient à la « Nouvelle Rampe » entre les parties BI et BII du camp).

Božena Kramarczyk nous a retrouvé·e·s dans ce petit lieu de mémoire, la « Vieille Rampe », le long des rails. On y trouve un wagon à bestiaux et plusieurs plaques commémoratives. Božena a lu un extrait du livre de souvenirs de Tadeusz Borowski, où il parle d’une mère déportée qui, lors de la sélection sur la rampe, renie son enfant pour sauver sa propre vie (Borowski, Bei uns in Auschwitz, p. 124 et suivantes).

« Voici déjà les camions, voici déjà le monsieur calme avec son carnet, déjà les SS sont sortis de la cantine avec leurs sacoches pour l’or et l’argent. Nous ouvrons les wagons.

Non, on ne peut plus se maîtriser. On arrache brutalement leurs valises aux gens, on les secoue pour leur prendre leur manteau. “Allez, allez, passez !” Ils vont, ils passent. Hommes, femmes, enfants. Certains d’entre eux savent. Une femme avance vite, sa hâte est imperceptible mais fébrile. Un enfant de trois ou quatre ans, au visage rose et joufflu de chérubin, court derrière elle, il ne parvient pas à la rattraper, il tend ses menottes en pleurant.

“Maman ! Maman !”

“Hé, la femme ! Prends ton gosse dans tes bras !”

“Monsieur, mais monsieur, ce n’est pas mon enfant, il n’est pas à moi ! crie-t-elle avec hystérie, et elle s’enfuit en se cachant le visage dans les mains. Elle veut se dissimuler, elle veut arriver parmi les autres qui ne partiront pas en camion, qui partiront à pied, qui vivront. Elle est jeune, jolie ; elle veut vivre.

Mais l’enfant court derrière elle et hurle à pleins poumons.

“Maman, maman, ne te sauve pas !”

“Il n’est pas à moi, pas à moi, non !”

Mais Andreï, un marin de Sébastopol, l’a rattrapée. Il a les yeux troublés par la vodka et la chaleur. Il la fait vaciller d’un seul coup d’épaule, la retient dans sa chute en la saisissant par les cheveux et la remet debout. La colère lui tord le visage.

“Gut gemacht, voilà comment il faut punir les mères dénaturées”, dit le SS près du camion. “Gut, gut Ruskof.” »

 

Božena Kramarczyk nous conduit à la porte de l’ancien camp de Birkenau, aux dimensions impensables. Les détenus du camp principal ont été contraints de construire ici une véritable zone de mort pour des centaines de milliers de détenus venus de toute l’Europe. Ce camp semble aujourd’hui vide par rapport au camp principal. Dans une baraque reconstituée, une écurie, Božena nous fait découvrir les expériences que les prisonniers ont vécues ici à leur arrivée au camp, telles qu’elles ont été racontées à travers des récits.

 

A notre demande, nous nous arrêtons près de l’endroit où, à partir d’août 1942, les Juifs de Breisach ont été assassinés, à leur arrivée des convois constitués par la Gestapo et les SS au camp de transit de Drancy, près de Paris. C’est là qu’ils avaient été amenés depuis le camp de Gurs, situé au nord des Pyrénées. La « Maison blanche » fut la première chambre à gaz de Birkenau, une ferme transformée du village polonais de Brzezinka (Birkenau).

 

La lecture des noms des citoyens et citoyennes de Breisach assassiné·e·s ici leur a, le temps d’un instant, redonné vie dans nos pensées.

 

Près des ruines du crématorium II, Christiane Walesch-Schneller a raconté l’histoire de la courageuse Francziska Mann, une danseuse juive polonaise qui, le 23 octobre 1943, a dérobé son arme à un SS et a blessé mortellement d’un coup de feu son collègue connu pour sa cruauté : le fils du tonnelier Josef Schillinger, né à Breisach-Oberrimsingen.

 

L’après-midi, nous sommes retourné·e·s en petits groupes au camp principal d’Auschwitz I pour visiter plusieurs anciennes casernes. Des « expositions nationales » y sont installées, par exemple l’exposition sur la France raconte l’histoire de la persécution et de l’assassinat de la population juive qui s’y trouvait au début de la guerre. Les juifs badois déportés dans le sud de la France, y compris les Juifs et Juives de Breisach, en faisaient partie.

 

Les expositions relativement récentes étaient également impressionnantes : le pavillon conçu par Israël et l’exposition réalisée pour les Sintis et les Roms.

 

 

Mardi 14 septembre 2021

 

Introduction à l’histoire et au travail éducatif du Centre international de rencontre pour la jeunesse par Judith Hoehne-Krawczyk.

Visite des Archives du mémorial avec Krystyna Lésniak.

Visite guidée de l’exposition « Clichés de la mémoire » de l’ancien détenu du camp de concentration Marian Kołodziej au monastère de Harmęże.

Krystyna Lésniak a parlé de son travail dans les archives, qui sont ouvertes aux personnes du monde entier recherchant des informations sur elles-mêmes ou sur leurs proches. Elle a ensuite présenté un projet actuel d’importance : la mise en relation des documents du mémorial avec les millions de documents conservés aux archives d’Arolsen (près de Kassel).

Nous lui avons demandé de nous montrer des documents sur le destin de Salomon Wurmser, un boucher de Breisach : un document apparemment normal, l’acte de décès, sur les souffrances de cet homme qui a été « sélectionné » à la rampe pour travailler dans le camp de concentration et est mort quelques semaines plus tard. Krystyna explique comment les médecins SS procédaient pour effacer leurs traces : avec des diagnostics inventés, qui sont parfois des métaphores pour la manière dont les personnes sont mortes (par exemple, « mort subite » signifie fusillade).

Un membre de notre groupe avait demandé à Krystyna Lésniak avant le voyage, de l’aider à retrouver la trace de son arrière-grand-père, qui avait été emprisonné comme réfugié venant de Belgique dans le camp de Gurs et assassiné à Auschwitz (son fils, le grand-père du participant, a survécu enfant). Krystyna a pu trouver la liste de transport avec le nom de l’arrière-grand-père dans les archives du mémorial et la partager avec nous.

Retour d’expérience :

« J’ai trouvé les visites des camps passionnantes, même si le musée d’Auschwitz I était pour moi plus informatif que bouleversant. Cependant, à Birkenau, l’ampleur de ce qui a été commis m’a frappé de plein fouet, et je ne parviens toujours pas à en saisir les dimensions. L’expérience la plus impressionnante et la plus émouvante du voyage fut pour moi l’exposition de Marian Kolodziej. À ce stade du voyage, j’étais inondé de tant de souffrance, de cruauté et de désespoir que les histoires d’espoir et de solidarité, ainsi que la foi profonde dans le bien, m’ont vraiment touché. »

Lors de notre session de réflexion du soir, il est apparu clairement que la visite de l’exposition des œuvres d’art de Marian Kołodziej, guidé·e·s par un moine du monastère d’Harmęże, fut un point culminant du voyage pour la plupart des participant·e·s.

 

 

Mercredi 15 septembre 2021

 

Transfert à Cracovie et arrivée à l’hôtel David sur la place Szeroka, dans l’ancien quartier juif de Kazimierz, à proximité de plusieurs synagogues.

Visite de la vieille ville de Cracovie et du quartier juif de Kazimierz, visite de la synagogue Remuh et de son cimetière.

Nous avons quitté la ville d’Oświęcim vers l’ouest et avons d’abord traversé des villages qui faisaient tous partie de la « zone de développement d’Auschwitz » : dans chaque village, les SS avaient installé un de leurs nombreux camps extérieurs. A Cracovie, nous avons découvert une ville universitaire animée, appréciée des touristes du monde entier.

Yom Kippour, la plus grande fête juive, débutait le mercredi soir et certains établissements fermaient pour cette raison. Nous avons donc commencé notre découverte de Cracovie dès notre arrivée, avec la visite d’une des plus anciennes et importantes synagogues de la ville, la synagogue Remuh. A l’arrière de la synagogue, d’importants rabbins et personnalités juives sont enterrés dans l’un des plus anciens cimetières l’un des plus anciens cimetières juifs de Pologne. Nous avons pu découvrir les traditions funéraires juives, l’avancée d’une restauration d’ampleur des tombes, ainsi que des centaines de fragments de pierres tombales fixés au mur intérieur, témoignant des destructions causées par l’Occupation allemande.

Lors de la visite de Kazimierz, nous découvrons, outre les autres synagogues, des traces sur de nombreuses maisons qui témoignent de l’ancienne vie juive. Le quartier de Kazimierz à Cracovie, et plus particulièrement la place Szeroka, ont servi de décors à Steven Spielberg pour son film « La liste de Schindler ».

 

 

Jeudi 16 septembre 2021

 

Visite du musée de l’ancienne usine Schindler.

Visite de la pharmacie « Pod Orlem » sur la « place du ghetto » à Podgórze.

Le musée « Fabryka Emalia Oskara Schindlera » se trouve dans un ancien bâtiment de la fabrique d’émail d’Oskar Schindler à Cracovie. Outre l’occupation allemande de Cracovie de 1939 à 1945, l’exposition met l’accent sur le sort des Juifs sous l’Occupation, dans le ghetto de Cracovie et dans le camp de travail forcé de Płaszów (qui deviendra également un camp de concentration) ainsi que les efforts de sauvetage d’Oskar Schindler et de sa femme qui, par le biais d’emplois dans la fabrique de Schindler, ont sauvé environ 1100 personnes juives de la mort.

Nous avons ensuite visité la pharmacie « Pod Orlem / Zum Adler » de Tadeusz Pankiewicz, qui a également été transformée en musée. Lorsque les SS créérent le ghetto juif de Cracovie en 1941 dans le quartier de Podgórze, la pharmacie de Tadeusz Pankiewicz s’y retrouva soudain en plein milieu. Tous les habitants non juifs durent quitter les lieux, mais Pankiewicz et ses collaborateurs restèrent et mirent en place un réseau d’aide, sauvant ainsi des vies.

Vendredi 17 septembre 2021

 

Séance de réflexion et de partage des impressions des participant·e·s à l’hôtel.

Visite du site de l’ancien camp de travail forcé et de concentration de Płaszów.

Après une longue discussion et réflexion portant sur le déroulé du voyage, nos impressions ainsi que les possibilités d’autres modalités d’action, nous sommes parti·e·s en début d’après-midi visiter le mémorial de Płaszów, en cours de création. Sur un terrain confus, immense et ressemblant à un parc, au sud de Cracovie, il n’y avait jusqu’à fin 2017 que quelques ruines – dont deux cimetières juifs et un funérarium détruit – et monuments. Si l’on ne comprenait pas le polonais, les inscriptions étaient incompréhensibles. En continuant d’explorer le site, nous avons trouvé une carrière avec des tours d’extraction rouillées, et même un chemin entouré de pierres tombales juives. Il s’agissait des décors du film « La liste de Schindler » : ces pierres tombales et fragments sont des reproductions.

Plus de la moitié du site du camp de concentration de Plaszów a servi comme lieu de construction par la suite, car la ville et les besoins des habitants faisaient pression sur ce terrain apparemment vacant.

Un musée sur l’histoire et la souffrance des détenus s’y construit lentement, pas à pas. En extérieur, 19 panneaux expliquent ce qui est à voir, ainsi que ce qui a disparu. Sur chaque panneau, une photo et le témoignage d’un détenu complètent les explications. Nous avons donc pu commencer à nous imaginer les atrocités qui s’y sont déroulées. Nous avons fait un petit tour le long des panneaux.

Nous avons aussi cherché la maison du chef du camp SS Amon Göth, connu pour sa cruauté, que nous avons trouvée fraîchement rénovée et habitée ! Nous apprenons que les nouveaux propriétaires de ce bâtiment historique s’engagent auprès des visiteurs du camp, en organisant par exemple des visites guidées.

 

 

Samedi 18 septembre 2021

 

Après une semaine aussi intense que bouleversante, le groupe s’est divisé au moment du départ. Une partie du groupe s’est dirigée vers la gare de Cracovie pour prendre le train, l’autre vers l’aéroport pour prendre un vol retour vers Bâle. La jeune famille avait entamé son voyage de retour dès la veille. Le bébé était devenu un compagnon de voyage privilégié.

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